Commentaires Préliminaires

Alain Karsenty (CIRAD-Forêt)
avec Hilary Kaplan (Réseau Fleuve Sangha)

Daou V. Joiris et Cédric Vermeulen présentent deux côtés des débats sur la place dans la conservation forestière des relations entre peuples indigènes et la terre.  Joiris raisonne qu’il faut considérer les perceptions des peuples locaux, et leur emploi de la terre, au cours de faire des décisions au sujet de la gestion des forêts.  Vermeulen tente de quantifier la terre exploité par les peuples locaux, et de déterminer un chiffre qui représente la territoire nécessaire pour leur subsistance, utilisable pour faire des décisions à l’égard de la conservation forestière.  Les questions suscitées par Joiris et Vermeulen traitent de « terroir », un mot à multiples facettes qui est traditionnellement difficile de traduire en anglais.  Dans L’État en Afrique: La politique du ventre, Jean-François Bayart largement définit terroir comme une « espaces-temp[s] don’t l’ajustement est problématique et toujours précaire ».1  Le traducteur de Bayart note que terroir est un terme historique qui date de 1960.  Joiris et Vermeulen considerent terroir comme un concept plus concret, mais un qui est encore difficile de définir.  Dans l’article de Joiris, on traduit terroirs coutumiers comme « customary lands », et terroirs villageois comme « village lands ».  Chez Vermeulen, on traduit terroirs villageois comme « villager lands », et on rend souvent son emploi de terroir comme « cultivated land ».  Dans son article, Vermeulen adhère à la définition de terroir que Karsenty et Marie ont donné en 1997.2  Sans faire aucun cas des embrouillements de terroir, Joiris et Vermeulen soulignent qu’on doit completer plus de travail dans les deux étendues d’opinion et mode de vivre villageois, et d’usage réel de terroir.

Vermeulen essaie de prendre une approche plus scientifique à l’emploi villageois terrière avec la formulation d’une « indice d’occupation spatiale » qui mesure le somme de terre nécessaire pour la subsistance du village. Il constate la plasticité de l’occupation spatiale, sous l’influence des dynamiques internes (démographie, structure sociale…) et des facteurs externes (nouvelles cultures, administration coloniale… ).  Au cours du siècle dernier, il dénote, l’usage forestière chez les villageois agrandissait au point de surexploitation, une tendance qui affirme les limitation conservationistes sur l’usage villageois de forêt.  Il s’interroge sur la légitimité d’éventuelles revendications « territoriales » villageoises correspondant à l’espace où se déploient des activités de chasse sur des distances parfois importantes, d’autant qu’il juge que l’exploitation cynégétique menée par les villageois ne correspond pas à une gestion « durable » au sens de la Conservation. 

Joiris remarque que certains projets de conservation imposent au villageois une sorte de « nature intégrale » en interdisant la chasse dans des zones où elles se déroulaient habituellement avec des conséquences (déprédation des animaux, insécurité des personnes, surexploitation de certaines zones…) qui affectent directement l’économie locale villageoise.

Joiris argumente pour considération plus grand des intérêts humains dans la conservation des forêts.  Sa discussion concentre sur l’usage du terroir et le bail, qui sont fondamentals aux « communautés dont l’économie dépend essentiellement des ressources de la forêt ».  Joiris explore terroirs coutumiers, production de subsistance, et pouvoir politique chez les villages aux économies forestières en Afrique Centrale.  Elle contete que les besoins forestiers des villageois sont ignorés à cause d’une faute de recherche et aussi d’inadvertance politique directe, en faveur des intérêts extra-villageois forestières et de chasse.  Parce que les systèmes de gestion terrières affectent directement l’emploi des forêts par les villageois, et affectent aussi leur rapport au conservationistes, « il nous paraît nécessaire que celles-ci soient conçues et délimitées de telle sorte qu’elles permettent aux économies locales d’exercer une exploitation rationelle de l’environnement ».  Joiris affirme que « le terroir villageois correspond à l’espace vital du village » et que les « vastes superficies permettent aux économies locales d’exploiter rationnellement le milieu en alternant les zones d'exploitation suivant des systèmes de rotation » y compris pour les zones de chasse.  Elle introduit – au delà de la question de l’équité – l’argument de la gestion « rationnelle » du milieu pour plaider l’extension de la zone où les villageois pourront chasser et mener différentes activités agricoles. 

La différence de perception des deux auteurs vient bien d’un appréciation divergente des impacts de la chasse villageoise : gestion « rationnelle » (donc durable) du milieu pour Joiris liée au mouvement spatial et temporel des activités, prélèvement à volonté pour Vermeulen dans des sociétés qui n’ont guère été confrontées à des situations imposant de gérer la rareté des ressources fauniques ou d’éprouver les limites de leur écosystème.  Les deux auteurs s’accordent pour envisager l’extension –dans la mesure où elle est possible – comme moyen de régulation « expansion continue » chez Vermeulen, système plus stable de rotation chez Joiris.

La conservation, comme le classement des forêts de production, pose bien le problème de l’introduction d’une dimension « territoriale » exclusive et de l’apparition de limites là où la question ne se posait pas auparavant.  Ce qui se joue c’est un partage des droits sur l’espace entre différents acteurs : l'État, les entreprises (limites des concessions), les projets de conservation, les paysans.  Au Cameroun, cette question territoriale se double d’un enjeu financier à travers le partage d’une partie de la fiscalité forestière : plus les villages pourront « revendiquer » un vaste espace coutumier « leur appartenant », plus ils accroîtront la part de taxes captées.

Idéalement, la régulation devrait porter sur la définition et les modalités d’exercice des droits (cf. la notion de maîtrises) plutôt que sur un simple partage du territoire.  Vermeulen l’évoque indirectement quand il parle des possibilités de « contractualiser » les activités au delà de l’espace restreint du terroir villageois.  Mais cette question n’intéresse ni les Gouvernements ni les programmes de conservation, plus préoccupés par la définition de leurs propres zones exclusives.  Et l’affirmation de l’exclusivité d’un côté entraîne mécaniquement une affirmation symétrique de l’autre : la « forêt de l'État » fait apparaître « notre forêt ».  La gestion des ressources bénéficiera-t-elle de ce partage ?

Le début du processus de classement des unités forestières d'aménagement (UFA) au Cameroun devrait nous donner des éléments de réponse.  Il serait souhaitable que des chercheurs suivent et analysent ce processus pour examiner les conséquences de cette «innovation institutionnelle » sur les rapports sociaux et les modes de gestion et d’appropriation du territoire des populations des zones forestières.

 

 

 

 

 

 

1 J. F. Bayart, L’État en Afrique: La  politique du ventre, Paris : Fayard, 1989 (317-8).

 

 

 

2 Terroir: ensemble des terres sou-mises au cycle cultural (en ce compris les jachères et recrus forestiers), divi-sées en lots géométriques assignés; portion du finage où les logiques d’occupation du sol sont dominantes (Karsenty et Marie, 1997).